Le journal de James.M
Jeudi 31 Août 1888
Un linceul gris tombe sur Whitechapel, et déjà les rayons pâles et
blafards d'un énorme quartier de lune, tentent de percer l'obscurité.
Encore ce maudit brouillard, suintant l'angoisse et la sueur, glacées par le
froid hivernal qui règne sur la ville depuis maintenant deux mois...
Aussi ai-je remarqué, que depuis peu, les poignées de mains chaleureuses se
font de plus en plus rares et les sourires francs, s'effacent davantage.
L'ambiance devient malsaine ici, et pour ma part, il n'y a pas de moment plus
pesant, que de contempler les derniers éclats fébriles du soleil disparaître,
me semble t-il...à jamais.
***
La brise ardente et vaporeuse me caresse les joues. J'avance, épris d'une
excitation parfaitement inexplicable.
C'est sans doute que j'aime à me promener dans la chaleur nocturne, mes pieds
effleurant les dalles de pierres incandescentes. Quelle idée...Flâner dans les
rues à une heure si tardive, quand bien même les bars les plus réputés, ont
fermés leurs portes.
Alors, dans une frénésie quasi incorruptible, j'arrache d'un coup sec, une
magnifique rose fébrilement enracinée dans un jardin public.
Ses pétales sont cramoisis, et que très légèrement cornés. Sa tige, est immense
et longiligne. Je la parcours de mes doigts méticuleux et manque de m'écorcher
à deux reprises, ma bouche grimaçant au touché des épines aiguisées de cette
dernière.
Je me décide enfin à effeuiller la corolle, extirpant un à un, chaque pétale
avec une maladresse puérile et récitant ces quelques mots comme si cela était
un psaume... "Elle m'aime...Elle ne m'aime pas" ...
Enfin, à l'aide de mon petit canif, je fends la tige de haut en bas, et la
laisse se calciner voluptueusement sur les pavées de braise, se formant autour
d'elle et très rapidement, une marre de sève sucrée et odorante, dans laquelle,
les derniers pistilles se meurent...enfin.
***
Mercredi 29 Septembre 1888
Je ne me sens vraiment pas bien ici.
Et j'ai bien peur de bientôt devoir mettre la clef sous la porte.
Et Florence...cette putain qui ne pense qu'à se pavaner dans les bras de
Kosminski!
Les affaires vont mal, je n'ai absolument rien vendu depuis deux jours.
Et cette satanée liqueur, pas un seul sou pour en racheter!
ça va mal...ça va vraiment mal.
Et toujours ce froid polaire qui s'abat de plus en plus intensément sur le
quartier.
Il y a désormais des matins, où je suis totalement transi par le froid, les
yeux violacés par la fatigue, bien que je me sois couché au
crépuscule, emmitouflé dans les épaisseurs de couvertures en laine et
cela de la tête aux pieds.
Florence me dit que je devrais aller voir un médecin.
Qu'elle aille au diable...la garce!
***
Il y avait longtemps, que je n'avais pas joui des braises incandescentes sous
mes pieds...que la brise fiévreuse n'était pas venue violer mes joues, à
l'instant même où je posais un pied sur le perron.
Il y avait longtemps, que je ne m'étais sentis aussi fougueux...
Il y avait eu surtout trop longtemps, que je n'avais pas senti l'odeur de la
sève froide, ruisselant sur mes mains.
Je presse le pas dans la nuit noire et brumeuse d'Hanbury Street.
Dans ma poche, je serre fort le couteau avec lequel j'avais fêlé la tige fine
et verdoyante, qui avait libéré un flot torride de sève, maintenant séchée et inodore.
Je me précipite dans le jardin de la fois dernière, et là, miracle, il n'y en a
pas moins d'une dizaine...
Je les extrais du sol aussi violement que...jfjdo**fjgflm-----...je forme un
énorme bouquet, mais ne manque pas de m'écorcher.
Vermeille, carmin et même cramoisie. J'ôte la corolle avec soin, psalmodiant
encore et toujours cette même phrase.
Enfin, je sors mon couteau, mais, je m'arrête.
Une odeur étrangère et aguichante, est venue inonder mes narines.
La senteur...est suave et sensuelle. Je me dirige en son sens. Je lâche le
bouquet qui s'écrase au sol, agonisant.
ça y est, je l'aperçois. Elle est irrésistible. C'est bien la plus belle rose
de tout le jardin...elle est splendide...
Plantureuse et bourgeonnante, la corolle éclot sous mon nez, délivrant une
parure de pétales aussi blanche qu'un collier de perle. Je succombe, j'en ai
envie...
Je l'arrache de la terre, armé d'une conviction et d'un désir maladif incurable.
Je disperse les pétales aux quatre coins de la pièce, les ayant sectionnés en
plusieurs morceaux, libérant ainsi une infime quantité supplémentaire de sève,
que je lèche goulûment sur mes doigts.
Enfin, je broie la tige à l'aide de mon couteau, un océan de suc fruité
m'éclabousse au visage. Je jette ce qui reste de la fleur et la piétine avec
amour et passion.
Je suis comme un fou...je ne vois plus rien...Elles me
dégoûtent toutes! ...mon cœur s'écrase...
" Je l'aime tellement et pourtant, qu'est-ce-que je la déteste"
Bien à toi Mary-Jane.
ton humble serviteur,
Jack L'éventreur
...